Le bonheur est dans Fœdora...
Elle, Fœdora, mon bonheur présent et pourtant incertain !
"Un fils, et maintenant une fille, que comptes tu faire désormais ?" m'a demandé mon père.
Ce que je fais depuis sa naissance, m'occuper d'elle autant que je le peux...
Fœdora est née en 2014, véritable petit miracle car Éclipse n'avait jamais pu mener un terme et de plus était sous pilule contraceptive lors de sa conception. Son prénom signifie d'ailleurs "don de dieu" et sans le savoir, Éclipse avait choisi le prénom qui lui correspondait le plus.
Jusqu'aux six mois de la grossesse, nous n'avons pas de certitude concernant la viabilité du fœtus. L'accouchement lui-même risque de se révéler délicat. Éclipse est arrêtée et je ne la retrouve que le week-end, travaillant le reste de la semaine dans un autre département. De plus, je suis en recherche active d'un nouveau poste car je suis sur la liste d'un plan de redressement économique. Ceci n'arrange pas les choses car elle a tendance à s'inquiéter, et penses que je ne souhaite pas de notre fille, ce qui n'est pas la cas.
Pour ma part, j'ai toujours imaginé, allez savoir pourquoi, que j'aurais deux enfants, un garçon en premier puis une fille, mais pas de la même mère. J'ai également imaginé que nous serions séparés tôt mon fils et moi, et que je ne verrais pas grandir ma fille, ne la redécouvrant que lorsqu'elle serait grande. Et c'est là que jaillit mon inquiétude : Éclipse commence à parler de moi comme d'un simple géniteur et m'exclus systématiquement des visites médicales, prenant des rendez-vous pour les échographies en dehors de mes temps de disponibilité "pour ne pas me déranger". Je n'ai que très peu connu Helven, je n'ai pas envie de revivre la même situation avec Fœdora. Éclipse sait la souffrance que j'ai enduré, la comprend, affirme qu'elle m'aime et qu'elle ne fera jamais revivre une telle situation, c'est rassurant et j'accepte sa proposition de m'installer avec elle et de construire ensemble une famille à laquelle mon fils sera intégré quand il viendra.
Je suis présent pour l'accouchement qui se fera par Césarienne, alors que l'on souhaitait un accouchement naturel, mais le pronostic vital du bébé étant engagé il est urgent d'agir. Un hélicoptère a été prévu pour un éventuel rapatriement d'urgence, et pendant que je reste à l'écart dans l'incertitude, aucune nouvelle ne m'étant communiquée, Éclipse manque elle aussi d'y laisser sa vie - mais je ne le saurai que plus tard quand enfin elle se décida à m'en parler. L'hôpital s'est contenté de me dire après de longues heures interminables que la maman et le bébé allaient bien, peu avant que l'on m'amène Fœdora pour la toilette et un tendre "peau à peau" qui finira dans le noir, ayant été oubliés lors du changement de service. La nouvelle sage-femme se rendant compte plus tard de notre présence nous conduira dans la chambre où nous ne retrouvons pas Éclipse immédiatement, mais un peu plus d'une heure d'angoisses supplémentaires plus tard. Éclipse est rayonnante en maman, je ne regrette pas d'avoir fait taire mes peurs.
En licenciement économique - et oui, n'oublions pas cette fameuse liste - je décide de profiter de cette opportunité pour offrir à Fœdora ce que je n'avais pu offrir à Helven au même âge : la présence continue d'un père. Ce n'est pas non plus inutile quand la mère doit reprendre le travail et qu'elle ne se sent pas à l'aise avec la nouveau-née. Éclipse est hésitante et mal à l'aise, alors que de mon côté je retrouve les automatismes que j'avais développé avec Helven et m'occupe de Fœdora avec douceur et assurance.
Sûrement désorientée par son inexpérience, et persuadée qu'elle n'avait pas développé de lien avec Fœdora à la naissance du fait de la césarienne et parce que j'avais effectué en premier le peau à peau avec elle - la petite s'imprégnant de mon odeur et non de celle de sa mère - Éclipse s'efface peu à peu, malgré mon insistance pour lui redonner sa place. Lors de la sieste, Éclipse se refuse de dormir avec Fœdora que je couche dans la chambre que je lui ai aménagé en veillant à ne pas faire de bruit, et ce n'est pas mieux pour le bain, j'assure presque seul les tâches du quotidien la concernant, et Éclipse qui travaille déjà avec des horaires décalés trouve souvent un prétexte pour s'absenter de la maison. Seuls les fêtes et anniversaires trouvent grâce à ses yeux, ce qui ravit la petite. Je n'ai nul doute qu'elle aime notre fille, mais elle lui montre si peu d'attention et d'affection que Fœdora finit par ne jurer que par moi et n'accepte plus que je m'absente même lorsque sa mère est présente auprès d'elle. Je me dois de réagir pour redonner à Éclipse son rôle de mère et sa place auprès de Fœdora en m'effaçant progressivement auprès de notre enfant.
Nous avons changé de région en 2016, un peu avant les deux ans de Fœdora, pour les besoins du travail de sa mère, quittant la maison que j'avais patiemment rénovée pour que nous puissions y vivre dans des conditions plus optimales. La nouvelle maison est plus lumineuse, et c'est un plain pied où Fœdora ne risque pas de chute dans les escaliers, et l'environnement y est sain : en rase campagne, nous pourrons faire des balades bucoliques lorsque le temps le permet. La reprise du travail de mon côté est également l'occasion de donner de l'autonomie à Fœdora tout en permettant à sa mère de se rapprocher d'elle : travaillant en horaires décalés, elle peut être présente une partie de la journée et sur ses jours de repos toute la journée, et je reprend ma place de père les week-ends pour lui permettre de se reposer. Bien sûr, Éclipse et moi n'avons pas tout à fait les mêmes organisations concernant notre fille et cela entraine des changements de rythmes pour Fœdora, mais à nouvelle habitation, nouvelles habitudes.
Elle s'en accommode bien car ces changements de rythmes ne sont rien comparés aux changements qui viennent d'intervenir dans sa vie : Helven est revenu en France au moment du déménagement et Fœdora va pouvoir le découvrir 1 mois durant, puis par la suite sur les périodes de vacances scolaires. Cette nouvelle vie semble prendre un bon départ.
Voilà quelques mois que nous avons déménagé, mon travail est plutôt chronophage y compris sur les périodes où je suis à la maison, et cela permet aussi à Éclipse de s'occuper davantage de Fœdora et ainsi trouver une relation mère/fille saine et complète. Fœdora m'en veut quelque peu de l'abandonner autant, mais je suis persuadé que cela est nécessaire, puis nous avons toujours des moments privilégiés où s'entremêlent jeux et câlins, et notre complicité reste intacte. C'est avec Éclipse que les choses se compliquent : réinvestie dans son rôle de mère, elle régente la vie quotidienne de Fœdora sans même me laisser voix au chapitre, m'interdit de lui apprendre les rudiments scolaires nécessaires à son entrée en maternelle l'année suivante - alors qu'elle laisse la nourrice le faire - et n'a de cesse de critiquer mes façons de faire ou revenir sur des décisions prises en commun sans m'en parler au préalable. Lors de l'inscription de Fœdora à la maternelle - formulaire que je n'ai pas eu le droit de remplir - la liste des personnes autorisées à venir chercher l'enfant se limitait à sa mère et sa nourrice, j'ai dû rectifier les choses en rajoutant mon nom. Éclipse commence à s'approprier Fœdora et je vois resurgir les spectres du passé, Mana m'ayant quitté et séparé de Helven après sa première année de maternelle. Pourquoi les mères ne peuvent-elles pas agir autrement qu'en égoïste propriétaire de leur enfant et conforter le père dans un rôle commun d'éducation en parfaite harmonie ?
Fœdora est en petite section de maternelle et les choses ne s'arrangent pas avec Éclipse. Je suis prêt à lui avouer mon amour mais elle n'est plus prête à l'entendre, les tensions se succèdent, et elle contredit devant la petite les principes d'éducation que nous avions convenu ensemble la veille. Je passe pour le méchant, mais surtout Fœdora perçoit la faiblesse qui émane de mes blessures antérieures et qui m'impose de ne pas forcer le conflit de peur de perdre l'union familiale à laquelle j'ose prétendre, et en profite pour m'évincer des différents moments de la journée au profit de sa mère, ce qui me vaut des critiques supplémentaires. Pourtant Éclipse fait appel à moi régulièrement dès qu'elle perd patience avec Fœdora, ce qui arrive souvent car la petite est en train de développer un caractère affirmé. Les problèmes de couple et d'éducation commencent à se combiner, je ferai tout mon possible pour essayer de préserver notre famille, mais je sais aussi que cela ne peut être réalisé qu'avec Éclipse dont je doute de plus en plus de l'implication.
Les doutes et les angoisses commencent à refaire surface, et j'ai l'impression de revivre le même scénario qu'avec Mana auparavant, à quelques détails près.
Je dois essayer de ne pas me laisser emporter par ces sentiments négatifs et miser sur une attitude positive pour préserver Fœdora comme je n'ai pas su préserver Helven, et ce même en cas de séparation... bref, je grandis.
C'est pas trop tôt me dirait mon père...